Delphine Gaumer, thérapeute et coach en oncologie, fondatrice de « Résilience moi », nous a fait l’honneur, dans le cadre d’Octobre Rose, d’accepter de répondre à quelques-unes de nos questions sur sa vision et son accompagnement assez spécifique de l’après cancer et d’échanger avec nous sur le concept de la résilience dans son approche.

1- Peux-tu nous parler de ton parcours professionnel et ce qui t’a amené au sujet de la résilience, et plus particulièrement dans le domaine de l’après cancer ?

« Je suis Delphine Gaumer, j’ai 46 ans, et j’ai 4 enfants. J J’ai toujours eu l’intégralité de la charge de mes enfants. En parallèle, parce qu’on parle de résilience, j’ai vécu beaucoup d’épisodes de résilience dans ma vie (séparation, problèmes de santé chez mes enfants, accident de vie qui m’ont fait renoncer à certaines choses ) , ce qui a beaucoup impacté mes choix dans ma vie personnelle et professionnelle.

Au niveau de mon parcours professionnel, j’ai fait une licence en psychologie puis j’ai été maître auxiliaire en zone d’éducation prioritaire pour un contrat de 5 ans et j’ai passé en parallèle le concours de professeur des écoles. A la fin de ces 5 ans, j’ai trouvé un poste en tant qu’assistante commerciale dans une boîte de téléphonie. Je suis ensuite montée en compétences et j’ai terminé assistante de direction. Je trouvais le monde de l’entreprise hyper intéressant. Je me rappelle très bien cette époque, j’étais vraiment animée par ce truc-là et j’ai eu une vision de l’entreprise qui a fait naître chez moi l’envie de faire un master 2 en coaching. En effet, je me suis dit que le coaching et l’accompagnement m’avaient toujours animée et que, finalement, ce qui me plaisait le moins dans la psychologie, c’est le fait d’aller « farfouiller » dans le passé, car tout le monde n’a pas la capacité de le vivre et de le supporter. Pour avoir fait une psychanalyse pendant 10 ans, je peux vous dire que c’est dur, ça brasse… Et en plus, je trouvais qu’à l’époque, en 2016, nous étions dans une société où les gens avaient besoin de réponses et besoin d’aller de l’avant et que tout ce qui relevait du domaine de la thérapie analytique n’était pas en adéquation avec ce que les gens attendaient. Effectivement, pour moi, il faut que les personnes que l’on accompagne aient des déclics sur chaque séance, qu’on avance un peu et qu’on tende vers un objectif.

Je suis alors partie du constat que nous sommes dans une société où les gens ont besoin de résultats. J’ai fait la haute école de Coaching à Paris et à Lyon et j’ai obtenu un diplôme de Coaching certifié RNCP et reconnu d’État. Je me suis donc lancée en 2017 en tant que coach en libéral auprès des particuliers et des entreprises. J’ai signé des contrats, formé des managers, et j’aimais bien intervenir dans les entreprises où il y avait du management participatif, je trouvais cela très intéressant.

J’ai eu ensuite cette chance magnifique de pouvoir travailler en tant qu’assistante médicale en oncologie à la clinique Charcot de Lyon pendant 3 ans et demi. Je devais gérer à la fois l’administratif et accueillir et accompagner les personnes qui sont atteints d’un cancer dans leur parcours de soins. J’ai pu travailler avec des oncologues qui m’ont appris les maladies, les différents protocoles. Il s’est passé un truc magique à ce moment-là. Je me suis sentie à ma place, comme on dit lorsqu’on se sent « au bon endroit, au bon moment. » J’ai accompagné environ 1200 patients du début à la fin de leurs traitements et ça a été pour moi la meilleure expérience de travail de toute ma vie. Ces personnes m’ont profondément transformée. Je me suis rendu compte que dans ce type de service, il y a des spécificités rattachées à l’humain qui sont tout simplement incroyables et que le concept de résilience était réellement présent chez les patients et chez les soignants également car il faut avoir la capacité d’accueillir tout ce qu’il se passe.

Je me suis ensuite posé la question de l’après cancer car les personnes sont « lâchées » lorsqu’elles sont considérées en rémission. Il n’y a plus du tout d’accompagnement et elles ont un sentiment d’abandon terrible, j’ai retrouvé mes patients en larmes quand ils quittaient le service. J’ai compris à ce moment-là qu’on savait soigner les personnes, les accompagner durant leur traitement, mais que le post-cancer ne faisait pas parti du « protocole de soins » à proprement parlé et qu’il n’existait pas de budget à ce niveau-là. Comme je suis une personne très empathique, c’était insupportable pour moi et j’ai donc quitté le service.

J’ai ensuite déménagé dans le 49 où j’ai construit pendant 2 ans ce projet d’accompagnement post-cancer. Je me suis formée à ce moment-là à la relation d’aide et aux thérapies humanistes de Carl

Rogers que j’ai expérimenté sur moi-même avec l’aide d’une thérapeute afin de le vivre intérieurement et de me rendre compte de ce que ça générait et de la manière dont on avançait. Je me suis également formée à la technique avec différents accompagnements psychocorporels : hypnose, sophrologie.

Depuis que je me suis lancée en libérale, je me rends compte de la difficulté financière des personnes pour les séances que je proposais et de leur difficulté également à faire les démarches de recherche par elles-mêmes car elles n’ont pas l’énergie nécessaire pour cela. Ce sont des personnes qui ont besoin qu’on aille à elles.

Je me suis par la suite nourrie de rencontres et d’échanges à travers des visioconférences avec des personnes qui travaillent sur le post-cancer. Il y a six mois, je suis revenue à Lyon en aillant le projet de monter une « Maison de l’après-cancer ». Je suis pour cela accompagnée par le programme « Lyon start-up » afin de monter cette structure sous un statut associatif, reconnu d’intérêt général. L’idée étant qu’elle soit facile d’accès, avec une adhésion à 120euros l’année pour avoir accès à des soins, des thérapies autant de fois que nécessaires selon les attentes et les possibilités des personnes pour les patients mais aussi pour l’entourage et les aidants. L’idée est également de proposer aux créateurs d’exposer leurs œuvres typiques sur le domaine de l’après-cancer. Enfin, l’idée est aussi de pouvoir accompagner les entreprises et les DRH sur le retour à l’emploi. L’objectif étant que ce soit un lieu chaleureux, simple, facile et surtout pas un lieu identifié « soins » car le but est de sortir les personnes de cette dimension, que ce soient les personnes en rémission, les entreprises ou l’entourage et les aidants. »

2- Que qualifies-tu de « bon équilibre de travail » entre les managers et des salariés au niveau du retour à l’emploi post-cancer ? Quel type d’accompagnement proposes-tu à ce niveau-là ?

« Le bon équilibre de travail, c’est d’abord et avant tout de dire « ne coupez pas le lien » à l’entreprise lorsque le salarié est en phase de traitement. C’est important de prendre régulièrement des nouvelles pour que le salarié ne se sente pas mis à l’écart. Il y a également cette volonté au niveau de la sécurité sociale que le salarié reprenne le travail avec l’idée de « rebond et de résilience par le travail. » Le problème actuel est que les salariés ont cette volonté de reprise de travail, mais rien n’est mis en place. La médecine du travail, concrètement, va suivre l’avis de l’oncologue, prendre un rendez-vous avec la personne pour fixer certaines modalités au niveau de la reprise et notamment sur les questions de mi-temps thérapeutiques, mais rien d’autre n’est proposé, ni pour le salarié, ni pour l’entreprise.

Donc l’idée est que, avant la reprise de travail, une rencontre soit proposée en amont à l’entreprise et au salarié afin que chacun puisse exprimer les enjeux de ce qu’ils ont vécu lors de l’absence de celui-ci. Il faudrait également proposer un suivi de ce qu’il s’est passé afin que le salarié absent retrouve sa place dans l’entreprise. Lors d’un remplacement par exemple, il faudrait que le remplaçant puisse transmettre au salarié les observations et informations dont il a besoin pour son retour à l’emploi.

Il faut également prendre en compte que le salarié absent durant sa phase de traitement ne sera plus tout à fait la même personne à son retour. Lorsqu’on éprouve au plus profond de soi que l’on est « mortel », on n’est plus la même personne. Voilà pourquoi il est tellement important de préparer ce retour en amont et de pouvoir parler librement. »

3- J’ai également lu sur ton profil LinkedIn que tu formais les administrations, entreprises et associations à la problématique de l’après cancer. Quels types de formations proposes-tu ?

« Je n’ai pas encore proposé de « formations » ni d’« interventions » à proprement parlé pour le moment. J’ai tranquillisé les personnes que j’accompagne et qui reprennent le travail après un cancer. Je leur propose de faire les démarches et de contacter leur employeur pour leur donner cette possibilité de faire ces rencontres en amont et informer de ma disponibilité auprès de l’entreprise s’il y a un besoin d’intervention.

Au niveau de mon projet de la « Maison de l’après-cancer », je souhaiterai proposer des sensibilisations gratuites aux DRH, environ une fois par mois, avec des patients, afin que les témoignages se croisent. Le but étant de communiquer de l’information, entendre les deux parties, et ensuite proposer des formations aux entreprises, suivis de personnes, ou autres interventions.

Je souhaiterai également proposer des « formats d’ateliers de groupes » pour les managers sur les « bonnes pratiques », sur l’oncologie au niveau des traitements qui existent, et sur d’autres thèmes que je n’ai pas encore défini.

Enfin, je pense qu’il est aussi crucial de proposer un accompagnement du salarié au moment de son retour à l’emploi avec des rencontres assez régulières entre lui et l’entreprise afin de « prendre la température », montrer que l’on est là, récupérer les informations, échanger avec la direction.

Je mets l’accent sur ce temps crucial des trois premiers mois car, au niveau des statistiques, un salarié qui est phase de rémission et qui n’est pas bien accompagné lors de son retour à l’emploi, se met en arrêt maladie entre trois et six mois après sa reprise de travail. Je pense que si c’est préparé en amont, environ deux mois avant la fin des traitements et trois mois une fois que la personne a repris le travail, c’est-à-dire sur environ six mois d’accompagnement, nous pouvons vraiment proposer des outils et des propositions concrètes afin que l’entreprise et le salarié puissent se retrouver dans les meilleures conditions possibles. »

4- Que proposes-tu également au niveau de l’accompagnement des patients et de leur entourage lors de la phase de traitement et lors de l’après cancer. ?

« Pendant la phase de traitement, j’accompagne les patients à travers une relation de confiance qui se crée aussi à partir de ma connaissance du cheminement et des difficultés qu’ils traversent par mon expérience à la clinique Charcot. « Il y a une forme de miroir qui se crée » car je connais la réalité de ce qu’ils vivent. A ce moment-là, l’empathie et le miroir sont primordiales. Si je dois leur parler de périodes de résilience dans ma vie, je le fais car cela permet vraiment de créer ce lien dans la relation.

Je veux que mes patients rentrent chez eux et se disent « je sais qu’elle est là ». Je mets en place cette relation systématiquement avec les patients que j’accompagne. Les séances sont mises en place avec la dynamique de temps qui leur correspond mais il y a aussi une disponibilité que j’ai et ils savent que tous les jours, entre 9h et 20h, ils peuvent m’envoyer un message, que je suis disponible pour eux. Il est important pour moi d’avoir un lien très continu avec ces personnes-là car elles ont besoin d’être accompagné et de sentir que « la main est toujours là ».

La relation que je mets en place avec l’entourage est différente. C’est plutôt une relation de coach et de thérapeute, où il y a un peu plus de distance car ce n’est pas le même accompagnement. Cela s’appuie plutôt sur de la « thérapeutique » au niveau de l’identification des mécanismes d’angoisses qui se jouent, les aider à se redécouvrir, à se connaître vraiment… C’est un gros changement et une épreuve pour l’entourage également qu’il ne faut pas négliger. Ce sont des positions qui sont très difficiles à prendre.

Il est aussi primordial de proposer des séances entre la personne malade et l’entourage pour entendre leurs difficultés. Il existe en ce sens deux grandes difficultés principales qui se jouent au niveau de l’entourage lors du diagnostic de rémission :

-Les personnes de l’entourage se sentent tellement soulagées qu’elles « lâchent tout ». C’est assez confortable pour elles dans un sens car elles ont moins de charge à porter et c’est très humain. C’est de la réassurance, de la confiance, de la sécurité, qui cache une profonde insécurité lors de la phase de traitement. A ce moment-là, je me place en rôle de médiateur afin de faire exprimer à chaque personne leur vécu et leurs ressentis, qui ne sont pas les mêmes. S’il y a besoin d’un suivi de l’aidant derrière, je propose à ce moment-là un accompagnement adapté en fonction de la personne et de ses problématiques.

-La seconde difficulté est qu’ils ont tu tout ce qu’ils avaient à dire durant la maladie et ils « explosent » lors de la rémission. L’entourage se tait, ne dit rien, ne se rebelle pas et lors de la rémission, tout est dit et ça peut être extrêmement violent pour la personne qui a été malade. Ça ressemble un peu à une « décompensation » et ça peut créer des dégâts monstrueux avec des séparations par exemple. »

5- Delphine Gaumer, tu parles également de santé intégrative. Qu’entends-tu par-là ?

« La santé intégrative est un concept qui a été prôné par Alain Toledano, radiothérapeute et oncologue, à l’initiative de l’institut Raphaël à Paris, qui travaille autour de l’après-cancer. Ce concept se traduit par le fait de remettre le patient au cœur de son traitement. Dans la cancérologie, une fois que la personne est dans le processus, elle est complètement démunie. C’est-à-dire que son intégrité en tant que personne n’existe plus. Il est demandé à la personne de suivre certains types de traitements et de consultations, elle n’a plus « la main » sur son processus de rémission. La santé intégrative, c’est vraiment remettre la personne au centre de ce processus et de la rendre véritablement actrice de sa santé. Le but étant de s’adapter aux besoins et aux capacités de la personne à ce moment-là.

Pour moi, dans le post-cancer, c’est une nécessité. Dans le cadre de mon projet, je souhaiterai ouvrir deux cabinets dans la « Maison de l’après-cancer » avec des praticiens spécialisés en oncologie qui proposent cet accompagnement : sophrologues, onco-esthéticiennes ou autres professionnels. Le but étant de proposer un programme d’accompagnement adapté pour chaque personne.

Au niveau de la résilience post-cancer, cette étape est primordiale car la personne va pouvoir redevenir maître de ses propres choix et donc de sa vie en fonction de son rythme et de là où elle en est dans son cheminement.

Ceci pose la question également de la santé intégrative pendant la phase de traitement, où la médecine en est actuellement à proposer aux personnes malades des thérapeutes, des coupeurs de feu, etc. Les médecins proposent aux patients d’aller rencontrer des personnes à l’extérieur mais ce n’est pas réellement intégré dans l’hôpital ou dans la clinique. Il y a également des soins de supports qui existent et qui sont choisis et décidés en amont, sur des directives, avec un budget mais il reste encore du travail à mon avis sur ce point dans le sens où c’est très limité et très structuré. »

6- Pour finir cette interview, pourrais-tu nous dire un dernier mot sur le nom que tu as choisi pour ton projet : « Résilience moi » ?

« La notion de résilience me parle beaucoup en premier lieu dans ma vie personnelle. Je pense être une personne profondément résiliente et c’est une notion que j’ai beaucoup transmise à mes enfants. Dans l’idée de « Résilience moi », il y a la vision poétique de « Emmène-moi » avec l’image de deux mains se tenant l’une dans l’autre et se dirigeant doucement mais sûrement dans le même sens, vers la résilience. »